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Cyrano Mallarmé

(Savinien de Cyrano de Bergerac, puis)
Stéphane Mallarmé - L'Azur


Convection dans l’atmosphère

L'eau monte dans le ciel, c'est ce qu'expérimente le voyageur vers la lune:


J'avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles le Soleil dardoit ses rayons si violemment, que la chaleur, qui les attiroit, comme elle fait les plus grosses nuées, m'éleva si haut, qu'enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région. Mais comme cette attraction me faisoit monter avec trop de rapidité et qu'au lieu de m'approcher de la Lune comme je prétendois, elle me parraissoit plus éloignée qu'à mon départ, je cassai plusieurs de mes fioles, jusqu'à ce que je sentis que ma pesanteur surmontoit l'attraction, et que je redscendois vers la terre.

Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655). Voyage dans la Lune. - édition Flammarion 1898 disponible à la BNF


Mais si l'eau monte, c'est parce que l'air qui la porte monte aussi:

L'Azur

De l’éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs.

Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l’intensité d’un remords atterrant,
Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?

Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes,
Et bâtissez un grand plafond silencieux !

Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
En t’en venant la vase et les pâles roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.

Encor ! que sans répit les tristes cheminées
Fument, et que de suie une errante prison
Eteigne dans l’horreur de ses noires traînées
Le soleil se mourant jaunâtre à l’horizon !










Le Ciel est mort. - Vers toi, j’accours ! Donne, ô matière,
L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché
A ce martyr qui vient partager la litière
Où le bétail heureux des hommes est couché,

Car j’y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
Comme le pot de fard gisant au pied d’un mur,
N’a plus l’art d’attifer la sanglotante idée,
Lugubrement bâiller vers un trépas obscur...

En vain ! l’Azur triomphe, et je l’entends qui chante
Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire méchante,
Et du métal vivant sort en bleus angélus !

Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu’un glaive sûr ;
Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?
Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !

Stéphane Mallarmé, Vers et Prose, 1893

http://pp.ige-grenoble.fr/pageperso/belleudy/rivieres/BV_Rhone-Mediterrannee-Corse/BV_Rhone/Durance/StPierre/slides/2007-09-15%2013-41-42_046.JPG
Atmosphère du matin au printemps dans le Val Montjoie

Hydrologie

On trouve ici des incohérences avec la physique de l’atmosphère et la météorologie en automne, en particulier à la troisième strophe.
La stabilité de l’atmosphère est incompatible avec les ascendances décrites à la cinquième strophe (cheminées) et à la fabrication d’un plafond stable (et silencieux). Brassens fait le même genre d’erreur en situant son orage en novembre. C'est ici, avec une petite explication de la convection.

Mais pourquoi le printemps et l'été sont-ils favorables à la convection, et pourquoi l'atmosphère est-elle généralement plus stable en automne et en hiver ?
Petite explication complémentaire:

Je prends un ballon de papier et je chauffe l'air qu'il contient avec un brûleur. Quand l'air contenu dans le ballon est assez chaud, le ballon s'élève parce que l'air chaud est plus léger que l'air ambiant. Plus haut, la pression est moindre, donc l'air dans le ballon se détend, et donc se refroidit. Si la température extérieure est toujours inférieure à la température de l'air dans le ballon, celui-ci continue de monter; c'est ce qui va se passer au printemps parce que généralement la température décroît rapidement avec l'altitude (on dit que le gradient vertical de température est fort).  Ça se passe de la même manière pour l'air réchauffé au printemps à la surface d'un champ labouré sombre.

En revanche, en automne ou en hiver que le gradient vertical vertical de température est souvent plus faible : le sol est froid et l'ensoleillement est réduit en fond de vallée, les versants sont en revanche plus tôt et mieux exposés au soleil. Dans ce cas, le ballon gonflé à l'air chaud ne monte pas, ou bien reste bloqué dès que sa température est inférieure à celle de l'air ambiant ; on dit que l'atmosphère est stable. C'est aussi ce qui se passe l'hiver pour la fumée d'un feu de bois et les gaz d'échappement des camions.

On peut aussi arriver à la situation extrême où la température de l'air en altitude est plus forte que celle des basses couches. C'est ce qu'on appelle une couche d'inversion. La condensation de la vapeur contenue dans l'air ascendant et son blocage par la couche d'inversion forme le "grand plafond silencieux" de Mallarmé.

http://pp.ige-grenoble.fr/pageperso/belleudy/rivieres/BV_Rhone-Mediterrannee-Corse/BV_Rhone/Durance/StPierre/slides/2007-09-15%2013-41-42_046.JPG
Le même Val Montjoie à l'automne. La vallée de l'Arve au premier plan. Les particules polluantes émises par le chauffage et la circulation automobile sont piégées par la stabilité de l'atmosphère.

Pour aller plus loin:


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créée: 2 décembre 2018
mise à jour: 13 janvier 2021