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Raoul Ponchon - Vive l'eau
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Vive l'eauJe t’ai maudite bien des fois,Eau du ciel, en mon ignorance ; N’ayant guère de déférence Sinon pour le vin que je bois. Ce soleil qui nous tyrannise, Certes, fera du vin coté ; Mais plus nombreux il eût été, S’il eût plus plu, qu’on se le dise. Hélas ! cette eau nous fait défaut Depuis la saison printanière, Et pourtant, de toute manière, Il faut de l’eau, si trop n’en faut. Sans eau, que deviendrait la Vigne ? — Vive la Vigne ! mes amis. — Rien que d’y penser, j’en blêmis, Et du même coup je me signe. Sans eau, l’on verrait avant peu Ses gracieuses branches tortes, Ainsi que des couleuvres mortes Se vider sous un ciel de feu. |
Sans eau, plus de rouges automnes ! Partout en France, c’est la nuit. Plus de vendanges ! tout est cuit. Plus de vin chantant dans les tonnes ! Adieu les fastueux coteaux, Pourpre et or ainsi que des chapes ! Autour des ceps non plus de grappes Que sur des manches de couteau. Plus de cabarets sous les treilles ! Et que boiriez-vous, dites-moi, Ivrognes de malheur ? Et quoi Mettriez-vous dans les bouteilles ? Crions donc en chœur : Vive l’eau ! L’eau dont le bon Soleil lui-même Consent à faire son carême, Pour nous la rendre en picolo. Vive l’eau courante des fleuves ! L’eau qui sommeille au fond des puits, La rosée intime des nuits, La pluie animant les fleurs neuves ! |
Vive l’eau des lacs, des ruisseaux ! L’eau des fontaines, l’eau des sources, Où, la nuit, vont boire les ourses, Et, le jour, les petits oiseaux ! Vive l’eau, là-bas, vers les saules, Qui baigne avec amour les lis Et les roses de nos Philis. C’est même un de ses plus beaux rôles. Oui, que l’eau vive à tout jamais ! Je sais qu’elle se meurt de honte D’être l’eau, mais au bout du compte, La malheureuse n’en peut mais. Il faudrait être plein de vice Pour ne la point prendre en pitié. Moi, qui ne l’aime qu’à moitié, Comme elle rend quelque service, Je jure sur mon lavabo, Devant le Seigneur qui m’écoute, D’en boire parfois une goutte, Quand il pleuvra sur mon tombeau. Raoul Ponchon - La Muse au cabaret -1920 - éditions Eugène Fasquelle |
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Évolution des sècheresses météorologiques de longue durée à Paris depuis 1873, à partir de l'indice Standardized Precipitation Index 12 mois. Les sècheresses sont caractérisées par une valeur fortement négative de l'indice (source MétéoFrance). |
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Corrélation entre la qualité des vins et la pluie annuelle - En abscisse la lame d'eau précipitée pour chaque année. En ordonnée, la note (sur 20) des vins rouges de Bordeaux | complément : pour les millésimes les plus
récents, la note minimale augmente et l'écart type diminue. |
Obsession de l'eauChaque année, à la même époque ,Quand sous la chaleur on suffoque , C’est le même cri dans Paris : Ah ! mon Dieu, si l’eau continue A ne pas tomber de la nue, Nous allons tous être cuits, frits. Que sur quelque fleuve baroque , Le Mancanarès, l’Orénoque… Ne vient pas nous ravitailler , Comment pousserons nos fleurs, voire Qu’est-ce donc qu’il nous faudra boire ? Avec quoi nous débarbouiller ? Nos puits sont morts et nos citernes Ne furent jamais aussi ternes. Nous avons épuisés la Dhuis, Le lac Pigalle ainsi que l’Avre , Et la sécheresse vous navre De la Fontaine Médicis… Mais aussi, Parigots, mes frères , Quels diables de dieux contraires Vous forcent à boire tant d’eau , Quand la divine Providence , Dont la France est la résidence , De tant de vins vous fait cadeau ? |
Car, jamais depuis le Déluge L’eau n’a trouvé pareil refuge A vos estomacs de Romains Cholérateux et pestiférés.. Enfin cela c’est votre affaire , Pour moi, je m’en lave les mains. Dans ce beau pays qu’est le nôtre, Qui n’est pas plus bête qu’un autre, C’est tout de même rigolo De vous voir, mes enfants, en proie A cet appétit de lamproie Pour l’eau ! pour cette exécrable eau ! Dites-moi par quel fanatisme , Sinon grenouillard fanatisme Vous êtes si férus de l’eau , Que vous croyez cette coupable La seule jouvence capable De vous maintenir au tableau ? Alors, comme a dit un grand homme - Je ne sais lequel - qu’il n’est , en somme , Sur terre… que deux sortes d’eau , L’une absurde, nulle, passive , L’autre , infiniment plus active , Nous jette en un mortel dodo. |
Ainsi, croyez bien, pauvres poires, Que si vous n’avez pas à boire, Toute l’eau, même la moitié De celle qui nous parait due, Allez, la cause est entendue Le Ciel vous a pris en pitié ! « Ayant moins d’eau, dit la Palisse, J’en bois moins », c’est tout bénéfice, Mais c’est parler dans le désert. Hydrophiles indécrottables, Qui mettez des eaux sur vos tables, Dites quelquefois de … dessert ! Enfin, si telle est votre envie, Si vous êtes encore en vie, Malgré l’eau qui vous manque ici, O Pèlerins ! prenez vos gourdes. Jamais elle ne manque à Lourdes ! J’en viens. Au revoir et merci. Raoul Ponchon - le Courrier Français - 03 août 1906 |
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Mirabel,
Ardèche - 13 septembre 2019 |
21 octobre 2019 - photos Guillaume Nord |