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Raoul Ponchon - Vive l'eau
(et Obsession de l'eau)

Sécheresse

Qui est Raoul Ponchon ?

C'est un poète imbibé (1848-1937) qui est l'auteur de fredaines du genre:
Quand mon verre est vide, je le plains ; quand mon verre est plein, je le vide.
Retrouvez sa trace ici ! http://raoulponchon.blogspot.com/

Vive l'eau

Je t’ai maudite bien des fois,
Eau du ciel, en mon ignorance ;
N’ayant guère de déférence
Sinon pour le vin que je bois.

Ce soleil qui nous tyrannise,
Certes, fera du vin coté ;
Mais plus nombreux il eût été,
S’il eût plus plu, qu’on se le dise.

Hélas ! cette eau nous fait défaut
Depuis la saison printanière,
Et pourtant, de toute manière,
Il faut de l’eau, si trop n’en faut.

Sans eau, que deviendrait la Vigne ?
— Vive la Vigne ! mes amis. —
Rien que d’y penser, j’en blêmis,
Et du même coup je me signe.

Sans eau, l’on verrait avant peu
Ses gracieuses branches tortes,
Ainsi que des couleuvres mortes
Se vider sous un ciel de feu.
 
 
 
 
Sans eau, plus de rouges automnes !
Partout en France, c’est la nuit.
Plus de vendanges ! tout est cuit.
Plus de vin chantant dans les tonnes !

Adieu les fastueux coteaux,
Pourpre et or ainsi que des chapes !
Autour des ceps non plus de grappes
Que sur des manches de couteau.

Plus de cabarets sous les treilles !
Et que boiriez-vous, dites-moi,
Ivrognes de malheur ? Et quoi
Mettriez-vous dans les bouteilles ?

Crions donc en chœur : Vive l’eau !
L’eau dont le bon Soleil lui-même
Consent à faire son carême,
Pour nous la rendre en picolo.

Vive l’eau courante des fleuves !
L’eau qui sommeille au fond des puits,
La rosée intime des nuits,
La pluie animant les fleurs neuves !


 
 
 
 
Vive l’eau des lacs, des ruisseaux !
L’eau des fontaines, l’eau des sources,
Où, la nuit, vont boire les ourses,
Et, le jour, les petits oiseaux !

Vive l’eau, là-bas, vers les saules,
Qui baigne avec amour les lis
Et les roses de nos Philis.
C’est même un de ses plus beaux rôles.

Oui, que l’eau vive à tout jamais !
Je sais qu’elle se meurt de honte
D’être l’eau, mais au bout du compte,
La malheureuse n’en peut mais.

Il faudrait être plein de vice
Pour ne la point prendre en pitié.
Moi, qui ne l’aime qu’à moitié,
Comme elle rend quelque service,

Je jure sur mon lavabo,
Devant le Seigneur qui m’écoute,
D’en boire parfois une goutte,
Quand il pleuvra sur mon tombeau.


Raoul Ponchon - La Muse au cabaret -1920 - éditions Eugène Fasquelle

Hydrologie

La terre est un éponge. Même quand il ne pleut pas pendant plusieurs semaines, il y a toujours de l'eau dans les rivières les plantes continuent à boire et transpirer; les nappes souterraines alimentent alors les rivières et les plantes puisent dans l'humidité du sol. Mais il arrive que la sécheresse soit telle que les rivières soient taries (c'est rare en Europe), ou que le plantes ne trouvent pas l'humidité suffisante à leur survie.

Hydrologie et vin

Mais ce qui inquiète Raoul Ponchon, c'est le vin. Les dictons confirment : il faut de l'eau pour faire du vin. Mais ils sont parfois contradictoires:
Ces dictons parlent surtout de quantité, pas de qualité. On peut a priori penser qu'un temps sec permet de faire du bon vin.

Hélas ! cette eau nous fait défaut / Depuis la saison printanière, : Je ne connais pas la date exacte de ce poème mais le recueil étant publié en 1920, il est donc antérieur à l'année 1921 que je vais prendre ici comme exemple. L'année 1921 est donc exceptionnellement sèche:

SPI Paris - MétéoFrance
Évolution des sècheresses météorologiques de longue durée à Paris depuis 1873, à partir de l'indice Standardized Precipitation Index 12 mois. Les sècheresses sont caractérisées par une valeur fortement négative de l'indice (source MétéoFrance).

Il aurait été intéressant de connaitre la répartition saisonnière, mais il est probable que toutes les saisons ont été sèches en 1921.

Description du millésime 1921 Bordeaux (https://www.idealwine.com) : "Encore une très grande année, voire même exceptionnelle, quoique la chaleur importante des vendanges ait parfois compromis la réussite de certains domaines. Le vin est puissant, suave, d'une douceur inhabituelle. Certains domaines excellèrent, ce fut le cas des légendaires Cheval Blanc, Ausone ou Haut-Brion. Le climat fut également favorable aux Sauternes qui ont connu une très grande année avec des vins riches, onctueux et de longues gardes."

Mais on peu aussi s'amuser à tracer une corrélation entre la qualité des vins de Bordeaux et les pluies annuelles à Bordeaux.
Données pluviométriques: https://www.infoclimat.fr/climatologie/globale/bordeaux-merignac/07510.html
Données sur les vins : https://www.idealwine.com/fr/saga_millesime/table_notation.jsp

En abscisse la lame d'eau précipitée pour chaque année. En ordonnée, la note (sur 20) des vins rouges de Bordeaux d'après https://www.idealwine.com/fr/saga_millesime/table_notation.jsp
13 septembre 2019
21 octobre 2019
Corrélation entre la qualité des vins et la pluie annuelle - En abscisse la lame d'eau précipitée pour chaque année. En ordonnée, la note (sur 20) des vins rouges de Bordeaux complément : pour les millésimes les plus récents, la note minimale augmente et l'écart type diminue.

Il aurait été plus convainquant de faire une analyse par saison. Cependant le manque de corrélation tend à démontrer (pour l'ignare du vin que je suis qu'il n'y a aucune corrélation significative (et que la qualité du vin est mieux assurée quand la bouteille n'est pas trop vieille).

Et puis aussi...

Vive l’eau courante des fleuves !
L’eau qui sommeille au fond des puits
: Elle ne sommeille pas ! elle s'écoule en suivant la pente de la nappe souterraine, mais avec une vitese très lente.
Cette eau souterraine peut alimenter la rivière ou au contraire se recharger au contact de la rivière.

La rosée intime des nuits : Pourquoi la nuit ? parce le sol se refroidit et que la vapeur d'eau contenu dans l'air se condense sur cette surface froide.
La pluie animant les fleurs neuves !

De toute manière, Raoul Ponchon était chaque année préoccupé par la sécheresse:

Raoul Pochon n'a donc pas pu être alerté par les conditions exceptionnelles de l'année 1921. Il était certes un poête porté sur le vin mais la sécheresse hydrologique semble avoit été une préoccupation récurrente : Chaque année, à la même époque. Obsession de l'eau a été écrit en 1906 et ce n'est pas spécialemenrf une année sèche à Paris du moins si l'on considère la pluviométrie annuelle :

Obsession de l'eau

Chaque année, à la même époque ,
Quand sous la chaleur on suffoque ,
C’est le même cri dans Paris :
Ah ! mon Dieu, si l’eau continue
A ne pas tomber de la nue,
Nous allons tous être cuits, frits.

Que sur quelque fleuve baroque ,
Le Mancanarès, l’Orénoque…
Ne vient pas nous ravitailler ,
Comment pousserons nos fleurs, voire
Qu’est-ce donc qu’il nous faudra boire ?
Avec quoi nous débarbouiller ?

Nos puits sont morts et nos citernes
Ne furent jamais aussi ternes.
Nous avons épuisés la Dhuis,
Le lac Pigalle ainsi que l’Avre ,
Et la sécheresse vous navre
De la Fontaine Médicis…

Mais aussi, Parigots, mes frères ,
Quels diables de dieux contraires
Vous forcent à boire tant d’eau ,
Quand la divine Providence ,
Dont la France est la résidence ,
De tant de vins vous fait cadeau ?






Car, jamais depuis le Déluge
L’eau n’a trouvé pareil refuge
A vos estomacs de Romains
Cholérateux et pestiférés..
Enfin cela c’est votre affaire ,
Pour moi, je m’en lave les mains.

Dans ce beau pays qu’est le nôtre,
Qui n’est pas plus bête qu’un autre,
C’est tout de même rigolo
De vous voir, mes enfants, en proie
A cet appétit de lamproie
Pour l’eau ! pour cette exécrable eau !

Dites-moi par quel fanatisme ,
Sinon grenouillard fanatisme
Vous êtes si férus de l’eau ,
Que vous croyez cette coupable
La seule jouvence capable
De vous maintenir au tableau ?

Alors, comme a dit un grand homme
- Je ne sais lequel - qu’il n’est , en somme ,
Sur terre… que deux sortes d’eau ,
L’une absurde, nulle, passive ,
L’autre , infiniment plus active ,
Nous jette en un mortel dodo.








Ainsi, croyez bien, pauvres poires,
Que si vous n’avez pas à boire,
Toute l’eau, même la moitié
De celle qui nous parait due,
Allez, la cause est entendue
Le Ciel vous a pris en pitié !

« Ayant moins d’eau, dit la Palisse,
J’en bois moins », c’est tout bénéfice,
Mais c’est parler dans le désert.
Hydrophiles indécrottables,
Qui mettez des eaux sur vos tables,
Dites quelquefois de … dessert !

Enfin, si telle est votre envie,
Si vous êtes encore en vie,
Malgré l’eau qui vous manque ici,
O Pèlerins ! prenez vos gourdes.
Jamais elle ne manque à Lourdes !
J’en viens. Au revoir et merci.


Raoul Ponchon - le Courrier Français - 03 août 1906



13 septembre 2019
21 octobre 2019
Mirabel, Ardèche - 13 septembre 2019
21 octobre 2019 - photos Guillaume Nord

Références

- La muse au cabaret : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k74840t?rk=21459;2
- https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9cheresse_de_1921

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créée: 3 novembre 2019
mise à jour: 13 janvier 2021