Un moment plus tard, le granger se mit en
route pour rendre visite à Hans. Sa conversation avec la sorcière
l'avait profondément ébranlé. Il se sentait aussi frais et propre que
s'il sortait de l'étuve, mais en même temps terriblement vieux. Oui, il
était un vieil homme. Tout était derrière lui et il ne pouvait plus
rien changer. Il n'était plus possible de s'écarter du chemin ni de
faire un pas de côté. Sa vie s'écoulait désormais toute seule, comme un
fleuve. Il pouvait seulement regarder en arrière, observer les berges
et les affluents qui s'éloignaient de lui et éprouver de la joie ou du
regret en constatant à quoi ressemblait le cours qu'il avait suivi.
Pour le reste il était trop tard.
Mais, se disait-il, avec l'âge il avait aussi acquis de l'expérience,
de même qu'un fleuve amasse sur son parcours des branches et des
feuilles issues des forêts où il passe. Oh, ce genre de fatras, il en
avait accumulé beaucoup, il en était rempli presque tout entier.
Et tout cela lui donnait le pouvoir de modifier le destin des fleuves
qui se trouvaient encore au début de leur trajet. Il entra dans la cour
du régisseur et le trouva en compagnie de son kratt. Il voulu les
saluer mais Hans posa un doigt sur ses lèvres : le bonhomme de neige
était en train de raconter une histoire.
Andrus Kivirähk, 2000 - Les
groseilles de novembre : 22 novembre - traduit de l'estonien par
Antoine Chalvin - ed. Le Tripode, coll. M21.
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