![]() |
Jean de La Fontaine - Le Loup et l'Agneau
|
Le loup et l’agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l’allons montrer tout à l’heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d’une onde pure. Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. – Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu’elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d’Elle, Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. |
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l’an passé. – Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ? Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère. – Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. – Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens : Car vous ne m’épargnez guère, Vous, vos bergers, et vos chiens. On me l’a dit : il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l’emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procès. Jean de La Fontaine, Fables (la dixième fable du livre I)/ 1668 |