retour au sommaire : L’encre qui coule de source -  l’hydrologie dans la littérature
Rimbaud Bob Dylan

(Rimbaud, puis)
Salman Rushdie - Luka and the Fire of Life
L’eau, quand elle coule, n’est jamais silencieuse

Le bruit de l'eau : tourbillons et transport solide

Contexte

Arthur Rimbaud a parlé du chant de la rivière:

Le dormeur du val

C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, Second cahier de Douai, 1870

C'est certainement d'un petit ruisseau qu'il s'agit, mais nous n'avons pas beaucoup de détails sur ce chant. Salman Rushdie va bien plus loin avec une analyse des fréquences.
Luka and the Fire of Life (Luka et le feu de la vie) est un conte pour les enfants, c’est une suite, 20 ans plus tard, à Haroun and the Sea of Stories (Haroun et la mer des histoires) écrit en 1990. Ces deux contes, mais aussi beaucoup de livres de Salman Rushdie, sont truffés de textes où l’encre coule de source.

L’eau, quand elle coule, n’est jamais silencieuse. Les ruisseaux babillent, les cours d’eau gazouillent et un fleuve plus grand et plus large raconte des choses plus profondes et plus complexes. Les grands fleuves s’expriment sur une fréquence très basse, trop basse pour l’oreille humaine, même pour l’oreille des chiens qui sont incapables de saisir les mots qu’ils prononcent ; le Fleuve du Temps racontait ses histoires sur la plus basse de toutes les fréquences, et seule une oreille d’éléphant pouvait en percevoir les chants.

Salman Rushdie, Luka et le Feu de la Vie (Ch. ?) / traduction Gérard Meudal / ed. Plon, 2010

L’eau, quand elle coule, n’est jamais silencieuse. Pour ce qui nous intéresse ici, l'eau qui ne coule passilencieuse n'est pas  très passionnante.  et il n'est pire eau que l'eau qui dort "Pas de grande poésie non plus sans de grands intervales de détente et de lenteur. Pas de grands poèmes sans silence. L'eau est aussi un modèle de calme et de silence. L'eau dormante est silencieuse, mais dans des paysages de lacs de champs. Près d'elle la gravité poétique s'approfondit. L'eau vit comme un grand silence matérialisé. C'est auprès de la fontaine de Mélisande que Pelléas murmure. Il y a toujours un silence extraordinaire, on entendrait dormir l'eau. Il semble que pour bien comprendre le silence, notre âme ait besoin de voir quelque chose qui se taise. Pour être sure du repos, elle a besoin de sentir près d'elle un grand être naturel qui dorme."
Gaston Bachelard (L'eau et les rêves, 1942)


http://pp.ige-grenoble.fr/pageperso/belleudp/rivieres/BV_Rhone-Mediterrannee-Corse/BV_Rhone/Isere/Drac/Ebron/Orbannes/slides/2005-06-26_Arches_02.jpg
Immersion d’hydrophones dans l’Arc en crue - On prépare ici l’immersion de deux hydrophones dans l’Arc en Maurienne à l’occasion d’une chasse hydraulique. Le travail de traitement du signal permet de séparer l’activité sonore due à l’écoulement (fréquences inférieures à 1kHz) du bruit généré par les matériaux charriés sur le fond (la fréquence dépend de la taille des cailloux). L’utilisation de deux hydrophones a permis d’observer que les sons générés au fond de la rivière subissent des réflexions multiples, sur la surface et sur le fond, et que ces réflexions altèrent le contenu fréquentiel du son.

Hydrologie

Plongeons la tête sous l’eau et écoutons le vacarme du transport par charriage au cours d’une crue de l’Arc-en-Maurienne :

spectres
Spectres sonores dans l’Arc en crue - On distingue les sons provoqués par la turbulence (à gauche, fréquences inférieures à 1000Hz) et les sons générés par les galets et blocs charriés au fond de la rivière (au delà de 1000Hz, les particules les plus grossières font des fréquences plus basses). Quand le débit et que la profondeur augmentent (courbes du bas vers le haut), l’intensité sonore augmente, les fréquences émises par les matériaux charriés sont plus faibles, c’est à la fois l’effet de l’augmentation de la taille des matériaux transportés, mais aussi d’une moindre atténuation des basses fréquences quand la profondeur est plus grande. Les grands fleuves ne font pas forcément des fréquences plus basses, mais on entend mieux ces fréquences dans ces conditions (et d’ailleurs ce sont des matériaux plus fins qui sont transportés, qui font des fréquences plus fortes, au delà de 10kHz).

Voir aussi:

Pour aller plus loin:

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créée: 22 mai 2018
mise à jour: 13 janvier 2021