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(Molière, puis) Franc Nohain - L’homme qui cherchait la quadrature du cercle et celui qui crachait dans un puits |
Le Misanthrope Notre grand flandrin de Vicomte, par qui vous commencez vos plaintes, est un homme qui ne saurait me revenir ; et depuis que je l’ai vu, trois quarts d’heure durant, cracher dans un puits, pour faire des ronds, je n’ai pu jamais, prendre bonne opinion de lui. Molière - Le Misanthrope - Acte V, Scène dernière. 1666 |
L’homme qui cherchait la quadrature du cercle et celui qui crachait dans un puits Dessus la margelle d’un puits Un homme s’accoudait chaque jour, pauvre hère, (Son visage était grave et ses traits amaigris, Ses cheveux jadis noirs étaient devenus gris) ; - Il s’accoudait sur la margelle, et puis Il crachait des heures entières ; Il crachait dans le puits, il crachait, il crachait, Et la nuit seule l’arrachait A cette tâche singulière ; Dès l’aube il revenait, et il recommençait, Et recrachait, et recrachait... Non loin du puits, dans la maison voisine, Un autre individu, que la fièvre illumine, Demeurait tout le jour penché, — Comme l’autre oubliant le manger et le boire, — Les yeux constamment attachés A de mystérieux grimoires, Du haut en bas, et en travers, Tout couverts De chiffres, Et de hiéroglyphes, De figures, de traits et de signes divers... Vous gagez qu’il était poète, qu’à des vers Il consacrait ainsi tout son temps et ses veilles ? Point ! Notre homme avait bien d’autres soins, Et il se moquait fort de vétilles pareilles ! Ce qu’il poursuivait là, sans bouger de son coin, D’un labeur entêté, l’objet de ses recherches, Tous les humains depuis des siècles, Malgré tous leurs efforts en sont demeurés loin : Ce qu’il cherchait n’était rien moins Que la quadrature du cercle. |
Bien entendu, il n’avait que mépris Pour son voisin, celui qui crachait dans le puits, Quand, par hasard, levant la tête, Il le voyait toujours crachant, de sa fenêtre, Et il jugeait sévèrement Un semblable désœuvrement. Celui-là cependant, plein d’une ardeur secrète, Rêve aussi d’une découverte Propre à bouleverser Le monde : — Et qu’importe après tout que j’y doive épuiser Mes follicules sébacés, Si, à la surface de l’onde, — Tant pis si mon gosier, Ma langue, En sont à la fin desséchés, — Si j’arrive à réaliser, Non pas des ronds, mais des triangles !... — Certains savants très convaincus A des problèmes tels s’acharnent, Que, franchement, on ne sait plus S’ils ont un génie éperdu, Qui au dessus Du commun plane, Ou une fêlure du crâne : Qu’on m’accuse d’être un profane, Mais autant vaut Cracher dans l’eau. Maurice Etienne (Franc-Nohain), Fables, 1925 (références à confirmer) |